Sistory

Il était une fois trois filles superbes… Non, ce n’est pas vraiment ça, mais presque !

Il y avait donc trois hommes qui décidèrent de faire bouger le quartier gay et lesbien de Castro à San Francisco. C’était en l’an 10 après Stonewall, soit 1979, le week-end de Pâques plus précisément.

Stonewall ? Qu’est ce que c’est ça ? Eh bien c’est l’événement fondateur des mouvements gays aux États-Unis d’Amérique. En 1969, les gays se cachent, se font discrets, bref, ils ne tiennent pas à ce que l’on sache qu’ils préfèrent les hommes. Ils se retrouvent dans des bars en espérant que la police n’y fera pas de descente trop souvent.

Le Stonewall Inn, un bar dans Greenwich Village à New-York, est surtout fréquenté par des travestis et des transexuel-le-s, et ce 28 juin 1969, l’ambiance n’est pas à la fête. L’immense Judy Garland, icône gay pour nombre d’entre eux vient de décéder. Et par-dessus le marché, la police effectue une nouvelle descente dans le bar.

C’en est trop ! Oubliant qu’ils vont niquer leur maquillage, ils se révoltent. Soutenus par les résidents gays de Greenwich Village, ils tiennent tête à la police cinq jours durant. Le calme revenu, les gays s’organisent et une communauté gay plus unifiée prend forme. Un an plus tard, le 28 juin 1970 les premières Gay Pride sont organisées dans plusieurs villes américaines pour célébrer l’anniversaire de cet événement.

N’oublions jamais cela : ce sont des travelos, des trans et des gars efféminés qui, les premiers, montrèrent que les gays ne voulaient plus être considérés comme des citoyens de seconde zone. Et c’est pour cela que, bien plus tard, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence choisirent cette date comme départ de leur calendrier.

Et maintenant, retour en 1979. La communauté gay et lesbienne s’est structurée un peu partout dans le monde. Mais elle s’est scindée en différentes tendances. Il y a les Castro clones par exemple. Vous vous rappelez le gars moustachu tout vêtu de cuir parmi les Village People ? Eh bien, c’est à peu près ça. Il y a aussi les Gym Queens (les accros à la salle de sport), les Garçons Coiffeurs, les Bears… Au final, chacun reste avec ses semblables, et il y a peu de communication entre les groupes.

Et c’est là qu’interviennent nos trois drôles de compères. Fatigués de cette situation, ils décident de secouer tout ça. L’un sort de ses affaires d’authentiques uniformes de bonnes sœurs. Un couvent les lui avait prêtés pour une représentation de la Mélodie du Bonheur quelques années auparavant. Et cette gourde avait oublié de les rendre…

Ainsi vêtus, ils parcourent le quartier de Castro jusqu’à la plage, armés de pistolets à eau et criant à tout le monde de s’aimer, de ne plus se rejeter les uns les autres. Ces étranges nonnes barbues ont beaucoup de succès. Les gays adhèrent immédiatement à ces personnages excentriques et irrésistibles. Après ce coup d’essai éclatant, ces trois Sœurs se trouvent chacune un nom : Sister Missionary Position, Sister Hystorectoria et Reverend Mother Abyss. Elles font une nouvelle apparition à un tournoi de soft-ball et leur chorégraphie de pom-pom girls enlève la vedette aux sportifs.

L’année suivante, l’Ordre s’organise et choisit son nom, ce sera The Sisters of The Perpetual Indulgence, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. De nouveaux membres se joignent aux Sœurs fondeuses. Le Couvent se structure. Leur uniforme s’inspire des robes des dames de cour flamandes du XIVème siècle, la cornette, des couvents français. Certaines Sœurs, travailleurs du sexe, ont du mal à exercer conjointement leur métier et leur vocation. La solution sera un maquillage blanc pour masquer les traits du visage et préserver l’anonymat. Il en sera ainsi pour quasiment toutes les Sœurs dans le monde.

L’image des Sœurs incite les gens à se confier à elles. Les gays se découvrent ainsi des Sœurs bien à eux ; des oreilles bienveillantes qui ne les jugeront pas. Elles encouragent leurs ouailles à rejeter la culpabilité et à célébrer la joie universelle. Les Sœurs s’impliquent au-delà de leur communauté. Elles manifestent par exemple contre le nucléaire, à leur manière flamboyante bien sûr. Elles luttent contre le cancer également. Leurs armes : l’humour, le spectacle de rue et la levée de fonds lors de bingos, de soirées dansantes ou grâce aux quêtes.

En 1982, un terrible changement survient. L’épidémie de SIDA se répand. Les Sœurs sont les premières à publier un livret de conseil sur le sexe sans risque baptisé Play Fair, Play Safe. Elles ne cesseront de lutter contre cette maladie et contre l’exclusion des séropositifs. Elles prôneront toujours une sexualité heureuse, libre et basée sur le respect de chacun et la prévention. C’est à partir de ce moment que le maquillage blanc deviendra signe de deuil en hommage aux victimes du SIDA.

Peu à peu le mouvement se répand. D’abord dans les pays anglo-saxons : l’Australie en 1981, puis l’Irlande, le Royaume-Uni.

En 1989 une poignée de français prennent contact avec la Maison Mère de San Francisco.

L’année suivante, débarquées de la West Coast, voici Sister X-Plosion, Sister Vicious Power Hungry Bitch et Sister Psychedelia à Paris !

Elles participent à la création du Couvent de Paris en élevant Sœur Rita Du Calvaire de Marie-Madeleine Car-Elle-Aussi-a-Beaucoup-souffert (qui deviendra l’Archi-Mère des couvents de France), Sœur Thérèse Ravière de Cul et Lard, Sœur Marie Mongolita des Fientes, Sœur Ginette de la Vache Molle et Sœur Plat-du-Jour/Tous-nos-Prix-sont-nets. Voici nos cinq Sœurs françaises originelles. Leurs noms sont déjà un poème, et nous maintenons cette délicieuse tradition ! L’élévation du Couvent de Paris se fait sur les marches de l’église de la Sorbonne.

Les couvents français se multiplieront doucement à partir de là. Nous sommes toutes issues des cinq Sœurs de 1990. Tous les couvents français sont établis en associations de Loi 1901. La follitude n’empêche pas d’être bien organisées !

Nous retrouvons les deux couvents parisiens : le Couvent de Paris et le Couvent de Paname, le Couvent du Nord à Lille, le Couvent des Chênaies (Aix-en-Provence). Notre couvent est issu du Couvent des Chênaies, dont il a d’abord été une Mission locale sur Lyon. D’autres Couvents sont aujourd’hui inactifs : le Couvent d’Allor (Alsace-Lorraine), Couvent d’AS (Bordeaux), le Couvent d’Oc (Sud-Est) et le Couvent d’Ouil (Ouest littoral).

La grande particularité des Sœurs françaises, c’est l’organisation des séjours appelés Ressourcements pour les personnes touchées ou concernées par le VIH, le VHC et les toxicomanies, grâce aux dons qu’elles recueillent tout au long de l’année.

Les Sœurs sont actuellement présentes aux États-Unis, au Canada, en Argentine, en Uruguay, en Colombie, en France, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, en Irlande du Nord, en Écosse et en Australie. Nous sommes plusieurs centaines, mais seule Sainte Pouffe saurait dire précisément combien de Dindes Sacrées arpentent les trottoirs de la planète.

Le look des Sœurs change selon les régions, et particulièrement la cornette, signe de reconnaissance ultime. À Las Vegas par exemple, la cornette intègre une casquette de croupier ; La new-yorkaise est à pois ; en Allemagne, elle ressemble à un soutien-gorge (non mais quelle idée !). De même, les Sœurs Australiennes et Sud-Américaines n’ont pas de maquillage sur le visage mais des lunettes de soleil et beaucoup de rouge à lèvre.

Toutes différentes et pourtant toutes animées par les mêmes idéaux, selon les Vœux prononcés lors de notre élévation. Chaque couvent à sa propre formulation des Vœux, mais nous avons les mêmes fondamentaux : écouter son prochain, promouvoir la joie et la fête, lutter contre le VIH, combattre les discriminations et l’isolement.

Et cela toujours dans la joie, la dérision et le respect. Le tout emballé dans d’ébouriffantes tenues dégoulinantes de paillettes et de bon goût. Car nous sommes toujours chics et discrètes.

Les Sœurs vous aiment et veillent sur vous partout dans le monde.

Amen A women A whatever and all the rest.

— Par Sœur Marie-Éva Naissance